Qui sont les Banyamulenge ? Perspective Historique

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BUKAVU, SUD KIVU:- La déclaration du Président de la République Felix Tshisekedi Tshilombo à Londres sur la question de Banyamulenge a suscité encore une fois de débats sur un dossier dont la plupart de compatriotes a du mal à comprendre.

Pendant de décennies, le peuple Banyamulenge a fait l’objet de débats politisés plus qu’historiques. De surcroît, durant ces deux dernières décennies, le Banyamulenge ont fait l’objet de débats politisés partant du rôle (réel ou instrumentalisé) que ce peuple aurait joué dans les guerres qu’a connu l’Est du Congo.

Des campagnes médiatiques visant à prouver que ce peuple constitue le danger et source de malheur que connait le Congo ont largement dominé les débats au sein de l’arène politique ainsi que dans les Médias. Toutes ces campagnes ont conduit la société Congolaise à prendre une position radicale contre le Banyamulenge.

De ce fait, les politiciens peuvent facilement jouer sur cette donne qui paie. Prendre une position contre le Banyamulenge semble donner un élan d’un nationaliste. Par conséquent, cette question connait plusieurs de zones de contestation même pour ceux-là qui n’ont jamais foulé leurs pieds dans la partie Est de la République Démocratique du Congo. En plus de cela, l’ère de la technologie et des Médias Sociaux ont fait que de manipulateurs (certains qui croient être objectifs) de partager leurs avis et opinions sur le Banyamulenge.

Cet article retrace l’origine de Banyamulenge dans une perspective historique. Etablissement de Banyamulenge en l’actuel Sud-Kivu.

Qui sont les Banyamulenge ?

Le Banyamulenge est une communauté qui vit principalement au Sud-Kivu dans le territoire de Mwenga, Fizi et Uvira. Dans le temps, certains de leurs avaient vécu au Katanga avant qu’ils ne soient expulsés en 1998 à la suite des guerres qu’a connu le Congo. Actuellement, on peut retrouver quelques familles dans différentes provinces du Congo et à Kinshasa. Une partie se retrouve aussi présentement dans les camps de refugies au Burundi, Rwanda, Uganda, Kenya ou dans les pays où ils ont été réinstallés.

Pour ceux qui peuvent avoir l’occasion de visiter les archives coloniales à Bruxelles peuvent avoir plus d’éclaircissements sur ce peuple. Ces archives coloniales indiquent clairement la manière dont avait été l’administration des entités locales pendant les premières années de la colonisation. Parmi les documents écrits pendant la période coloniale, une confusion avait été créé autour de ce peuple. Ce peuple Banyamulenge avait été désigné par plusieurs éponymes dont Watuzi, Batutsi, Tutsi d’Itombwe, Banya-Ruandas, Ruandas ou encore Banya-Kibira.

Ce peuple n’a pas seulement connu une confusion par rapport à leur éponyme, ils ont fait aussi l’objet d’une discrimination comme le souligne Weis (1959). Parlant de peuple pasteurs, Weis souligne que « Ces pasteurs offrirent à l’administration plus de réticence que les Vira : mal fixés encore, réfractaires à l’impôt et au recensement, destructeurs de la forêt d’altitude, menaçant de dominer les peuples congolais et de les soustraire à l’influence européenne, ils firent l’objet d’une discrimination sévère » Weis (1959 :149)

Pour dissiper ce malentendu et confusion, l’élite de Banyamulenge a dû revenir sur l’un d’anciens éponymes en lien avec leur établissement à Mulenge. Il est à souligner toutefois que Depelchin (1974 :70) , cet éponyme avait été utilisé pour désigner ce peuple que l’administration coloniale a souvent désigné par plusieurs noms. De sources autour de concertations qui eurent lieu sur le retour a cet éponyme, Ntanyoma (2019 : 25) en présente aussi quelques éléments.

Pour ceux qui est de l’établissement de Banyamulenge dans la partie Est du Congo, Viaene & Bernard (1910 :1030) soulignent que les populations Congolaises de l’Est sont constituées entre autres par les Watutsi, d’origine Ethiopienne et qui menent une vie pastorale. Ils citent nommément les Wahinda, ayant une peau très foncée selon les auteurs. Pour preuve, le Wahinda [Bahinda] constitue l’un de clans de Banyamulenge actuel. Les propos tenus par Viaene et Bernard corroborent bien d’autres récits qui sont accessibles au sein des archives coloniales dont Maurice Vanderkeulen (1912).

D’autre part, l’administrateur colonial du territoire d’Uvira Loons Réné, précise que les Banya-Ruandas (Banyamulenge) constituait l’une de quatre fractions qui composait le Territoire de Bafulero (entre Bafuliro). A en croire, Bufuliro n’était pas un groupe ethnique mais plutôt un territoire composé de ces fractions dont on peut considérer actuellement comme des ethnies.

Aux côtés de Bahamba, Bazige, Barungu, les Banya-Ruandas étaient subdivisés en 2 sous-groupes ; celui de Livuze (en lien avec Kahutu/Gahutu) et celui de Kaila (lire aussi Kayira). Le sous-groupe Livuze avait traversé la frontière vers le Congo Belge vers les années 1908 en provenance des territoires contestés. Selon Loons, le groupe Livuze aurait été obligé de rentrer au Rwanda, sauf quelques dizaines de familles qui se seraient éparpillés en plaine de Ruzizi. Le groupe Kaila est celui qui intéresse plus car constituant en grande majorité ceux qui sont le Banyamulenge actuel. Loons indiquant les notables sous Kaila, il est clair de réaliser que ces notables sont des ancêtres connus dans les familles Banyamulenge.

Reyntjens et Marysse (1996 :15) précise que ce peuple Banyamulenge avait leurs chefferies reconnues en 1891, 1906 et 1910 et leur autonomie a été supprimée en Décembre 1933.
Loons (1933 :7-8) indique ce groupe Kaila a occupé le territoire de Bufuliro vers le XVIIe Siècle, à la même période que le groupe ethnique Bavira actuel.

Loons indique ensuite que le groupe Kaila est d’origine « Rwandaise » et aurait fui les cruautés du Roi Kahindiro (Gahindiro). Le Roi Gahindiro du Rwanda aurait régné entre 1746-1802. L’indication du Roi Kahindiro [Gahindiro) donne une estimation en rapport avec leur établissement. Ensuite, Kaila est bien cité dans Vanderkeulen Maurice (1912) qui précise que Kaila avait une grande chefferie dans le moyen plateau d’Uvira. Dans le même ordre d’idée, Moeller (1936 :116) souligne la présence de Watuzi dans la partie Sud du Sud-Kivu qui se seraient établis dans cette région à la même période que d’autres groupes ethniques qui vivent cette région.

Pour conclure, il est à retenir que l’établissement de peuples dans la partie orientale du Congo se serait fait en termes de migrations. Il s’agit d’un processus presque continuel qui prit presque fin à la suite de la délimitation des frontières actuelles entre Etats actuels (1910). C’est dans ce sens que la précision de Loons peut faire objet de débat. Cette objection sur un groupe venu d’un seul instant s’appliquerait aussi sur tous les groupes ethniques vivant dans la région. En passant, il sied de souligner que la donne coloniale et le renforcement de chefferies traditionnelles ont renforcé certains groupes au détriment des autres. C’est dans ce sens qu’il faut rappeler que Newbury (2009 : 265) situe la présence de Banyamulenge dans le territoire qui deviendra enfin le Congo vers le XVIe Siècle. Il précise que le clan Abanyabyinshi se serait établi dans cette partie du territoire vers la période entre 1510-1543 sous Ruganzu Ndori, roi du Rwanda.

La tradition orale peut lier cette présence du clan Abanyabyinshi et celui de Abatwari. Pour sa part, Hiernaux (1965 :377) précise que 85% de ses répondants (Tutsi d’Itombwe) qu’il rencontra dans les hauts plateaux avaient déjà passé 6 générations sur ce territoire qui deviendra le Congo. Son étude avait été réalisée entre 1954-55 ; ce qui signifierait que le 85% de peuple Banyamulenge se serait établi sur ce territoire entre 1770-1800.

Mutambo (1996) précise que le tout premier Munyamulenge (singulier Banyamulenge) qui vecut en Plaine de la Ruzizi est le clan Abagabika ; donc, avant Abanyabyinshi.

Toutefois, indépendamment de toutes cette réalité non exploitée ou manipulée, la question de Banyamulenge reste à la une sans que des recherches focalisent aussi sur l’établissement des autres groupes ethniques dans cette région. L’évidence prouverait que les autres groupes ethniques vivant la partie sud du Sud-Kivu ainsi que toute la région Est du Congo ont été établis par migration. Il est d’ailleurs évident que la plupart se serait établie pendant les périodes récentes au même titre que ceux contestés.

Bibliographie

Depelchin, J.-M. F. (1974). From pre-capitalism to imperialism: A History of Social and Economic Formations in Eastern Zaire. Stanford University.

Hiernaux, J. (1965). Note sur les Tutsis de l’Itombwe : La position anthropologique d’une population émigrée

Loons, Réné (1933). Etude sur le territoire des Bafulero, District du Kivu. 3 Mars 1933
Moeller (1936), “Les Grandes Lignes Des Migrations de Bantous de la Province Orientale du Congo Belge”, Memoires―Collections in-80, TomeVI, Institut Royal Colonial Belge, Librairie Falk Fils, Bruxelles. Available at : http://www.kaowarsom.be/documents/MEMOIRES_VERHANDELINGEN/Sciences_morales_politique/Hum.Sc.(IRCB)_T.VI,_MOELLER%20A._Les%20grandes%20lignes%20des%20migrations%20des%20bantous_1936.pdf

Newbury, D. (2009). The Land Beyond the Mists: Essays on Identity and Authority in Precolonial Congo and Rwanda. Athens: Ohio University Press.

Ntanyoma, D. R. (2019). Behind the Scenes of the “Banyamulenge Military”: Momentum, Myth, and Extinction. Paris: L’Harmattan
Reyntjens, Filip & Stefaan Marysse (1996). « Conflits au Kivu: Antecédents et Enjeux ». Anvers: Centre d’Etudes de la Région de Grands Lacs d’Afrique

Vanderkeulen, Maurice (1912), « Rapport sur la Reconnaissance effectuee par Maurice Vanderkeulen agent territorial du 19 au 27 Avril inclus », No 465 du 29 Avril 1912
Viaene, E., & Bernard, F. (1910). Contribution à la ethnologie congolaise. Anthropos, V(1910), 1027–1057

Weis, G (1959), Le Pays d’Uvira : Etude de géographie régionale sur la bordure occidentale du lac Tanganika, Académie Royale des Sciences Sociales, Mémoires in-80. Nouvelle série. Tome VIII, fasc. 5 et dernier Bruxelles
Willemart (1935), “Historique du Territoire de Babembe: Territoire de Kamembemembe [Kalembelembe]”. Accessible sur : http://ufdc.ufl.edu/AA00001882/00001. Willemart

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